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Matière, forme, concept et pots de peinture

Apprendre à peindre, c’est d’abord apprendre qu’il existe trois aspects différents et indissociables dans chaque peinture, et qu’on a intérêt à les identifier :

les techniques matérielles (le produit peinture, les outils, les supports, les procédés), les techniques formelles (ligne, couleur, composition), les techniques conceptuelles (la relation entre le sujet, le peintre et sa peinture).

Avant de pouvoir exprimer des idées avec de la peinture, il faut éventuellement sortir les mains de ses poches et s’initier à la manipulation de la matière physique qu’on va employer : cette matière, avec sa consistance, sa ductilité, selon l’outil qui la véhicule et le subjectile qui la reçoit, vous offre sur un plateau toute une gamme d’effets expressifs dans lesquels vous n’aurez qu’à piocher pour vous prendre très vite pour un artiste.

Quand on a eu ce premier contact avec la matière, on se repose cinq minutes puis on lit attentivement ce qui suit : un tableau, c’est un sujet, image ou idée, mais c’est aussi, au service de ce sujet, une certaine organisation de formes, lignes et couleurs qui a sa logique propre. Comme la grammaire pour la langue et le rouge pour les lèvres. Savoir accorder des couleurs, rythmer des lignes et des surfaces permet de renforcer, sans digression ni redondance, le sens de ce qu’on exprime.

Les techniques matérielles et formelles, c’est bien, c’est joli, mais ça ne vous sert pas longtemps si vous ignorez tout des techniques conceptuelles, c’est-à-dire comment on invente un tableau.

C’est là que la mayonnaise doit prendre. La matière, la forme, on ne les sent et ne les maîtrise, passé le B-A BA de l’initiation, qu’en s’affrontant aux sens : sensation et signification.

Inventer un tableau ? Il suffit de se rappeler une dizaine de genres de peintures étalés dans le temps et les civilisations pour se rendre compte qu’il n’y a pas Une manière de peindre, mais des quantités : les Égyptiens, les Africains, les renaissants, les impressionnistes, les cubistes, les abstraits, les pop-artistes, pour ne citer que des catégories artistiques connues du grand public, nous mettent déjà une belle pagaille entre le réel et sa représentation. Alors, quand les peintres anonymes s’y mettent…

Pour s’initier, puis progresser en peinture, il faut explorer tout cela, les outils à la main, au gré d’exercices brassant les différents niveaux (matière, forme et concept) pour arriver à construire sa propre vision. Selon son tempérament, ses moyens, son courage ou sa nonchalance, sa rigueur ou sa fantaisie, le temps qu’il fait, son bon plaisir… À ma droite : Apollon et le sens de l’ordre. À ma gauche, Dionysos et le goût du plaisir. Vous allez les inviter tous les deux autour de vos pots de peinture.

Les exercices proposés sont, dans leur principe, des clés pour démarrer des peintures sur la base de manipulation de matières, de formes et d’idées.

C’en est fini de l’angoisse de la feuille blanche ou de la routine des peintures qu’on commence toujours de la même manière. Mais attention de ne pas tomber dans l’excès inverse : vouloir trop respecter chaque énoncé au détriment des idées surgies en route. Une fois bien avancé dans un exercice, c’est ce que vous avez sous les yeux en train de se faire qui compte davantage que la mise en conformité avec le sujet de départ.

On ne réussit jamais mieux une peinture que lorsqu’on la commence fermement avec des règles contraignantes au point d’être bizarres, pour les violer bientôt, dès qu’est excitée la face inassouvie de l’imagination.

Le choix des illustrations, dans ce livre, procède de cet esprit-là : pas d’autoroute directe entre les images et le texte, mais des petits chemins capricieux et changeants, pour que chaque lecteur lise un livre différent comme il fera des peintures différentes.

Extrait de Peindre en liberté n°1

2017-04-18T18:03:32+00:00